L’argent obsède autant celui qui en a que celui qui en manque. Pourtant, c’est rarement le sujet d’une réflexion philosophique nuancée, oscillant plutôt entre idéalisation et condamnation. Depuis le passage du troc à la monnaie, puis à la monétarisation intégrale de nos sociétés, l’argent a transformé radicalement notre rapport à la valeur, au temps, et à la liberté. Est-il simplement un outil neutre d’échange, ou modifie-t-il profondément nos structures mentales et sociales ? Comment l’argent devient-il prison quand il était censé être libérateur ?
Georg Simmel a révolutionné la pensée en proposant une philosophie de l’argent qui n’était ni apologétique ni condamnatrice. Il montre que l’argent possède des caractéristiques uniques : il est transport facile, divisible, universel. Ces qualités ne sont pas neutres : elles ont profondément transformé l’émergence de la modernité, les relations sociales, et la construction identitaire.
L’argent est un « super-objet » paradoxal. Il est à la fois marchandise (billet, signature) et non-marchandise (on ne peut acheter l’argent avec l’argent, mais il rend les transactions possibles). Cette dualité crée une confusion conceptuelle dont nous héritons encore.
Avec la fin de l’étalon-or en 1971, l’argent a glissé du « métal au signe » Auparavant, créer de la monnaie signifiait extraire l’or. Aujourd’hui, l’argent procède entièrement de la puissance créatrice de l’homme et peut être produit à l’infini. Cette révolution silencieuse entraîne des risques de « débauche monétaire » mais aussi d’émancipation.
François Dagognet propose quant à lui une éthique de l’argent nuancée. Il faut, selon lui, accepter que nous soyons limités par l’argent tout en le questionnant continuellement. L’argent oriente les priorités sociales : quand on « coupe » dans les budgets publics sans lien au sensible, on invisibilise les humains derrière les chiffres. C’est pourquoi l’économie exige une éthique vitale.
Alain Deneault, philosophe contemporain, dénonce comment l’argent a progressivement remplacé les arts circulaires de la politique par des visions utilitaristes. Compter « indépendamment du sensible » est selon lui « très grave ». Une véritable économie de la pensée doit réanimer le lien entre chiffres et réalité humaine, entre abstractions financières et vies concrètes.
Comment la monétarisation de toute activité humaine influe-t-elle sur notre conception de la valeur et du sens ? Peut-on concevoir des systèmes économiques qui préservent les avantages de l’argent (échange, liberté) sans entraver notre lien au sensible et à l’humain ? Quels protocoles de recherche permettraient d’étudier l’impact psychologique et sociétal de la relation à l’argent sur différentes générations ? Comment éduquer à une « conscience économique » qui articule liberté financière et responsabilité collective ?
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Références
1. PhiloMag. (2012). L’argent : Philosophie déroutante de la monnaie. Disponible sur : https://www.philomag.com/livres/largent-philosophie-deroutante-de-la-monnaie [Consulté le 30 octobre 2025]
2. Mondes Sensibles et Sciences Sociales. (2019). « La philosophie de l’argent » de Georg Simmel. Disponible sur : https://mondesensibleetsciencessociales.e-monsite.com/pages/textes-pedagogiques/simmel/la-philosophie-de-l-argent-de-georg-simmel.html [Consulté le 30 octobre 2025]
3. Luxe Éditeur. (2024). Alain Deneault : économie de la pensée et philosophie de l’argent. Disponible sur : https://luxediteur.com/alain-deneault-economie-de-la-pensee-et-philosophie-de-largent/ [Consulté le 30 octobre 2025]